Erreur sur la personne

Je pense que personne n'a échappé ces derniers jours à la polémique sur le mariage annulé de Lille. Prononcé pour "erreur sur les qualités essentielles de la personne, du fait du mensonge de l'épouse", il a fait un tollé prévisible, parce que bien sûr, ça ressemble beaucoup à une répudiation, tout de même ?

Pour ma part je suis assez perplexe sur la question : soulignons d'abord que l'annulation a été demandée conjointement par les deux époux : ça ne veut pas dire que l'épouse était consentante, qu'elle ne subissait aucune pression des deux familles et de sa communauté. Notons ensuite que découvrir pendant sa nuit de noces que son mari est un barbu borné et rétrograde devrait en toute logique en décourager plus d'une. Je dois dire que j'aurais un peu tendance à suivre la garde des Sceaux qui ne veut pas exposer la jeune fille à une vie commune avec un homme de ce type qui a si résolument décidé que sa femme ne lui inspirait plus que du mépris.

En fait, ça me rappelle une jeune fille qui travaillait comme nounou chez ma grand-mère (il lui en fallait quelques unes avec ses neuf enfants). Cette jeune personne ayant profité pleinement de sa jeunesse un soir de bal, elle en gardait un souvenir qui promettait d'être durable, et ses parents voulaient lui faire épouser son complice.  Ma grand-mère avait réussi à les en décourager, en arguant qu'ayant fait une bêtise, il n'était pas forcément indispensable qu'elle en fît une seconde (ou plutôt une deuxième, si on projette un peu sur les suites prévisibles de l'histoire).

Tout ça pour dire, que tout de même, le mariage est une affaire sérieuse, qui ne devrait pas être permise aux psychopathes, immatures ou bigots de tous ordres qui prétendent en faire un rempart de respectabilité : aaah ! le regard des autres ! le drap rouge pendu aux fenêtres ! l'avis de la famille ! le marchepied pour la carrière ! la femme comme un symbole phallique à brandir en société ! sur tous les continents, même combat ! eh oui, je viens de voir Legally blonde que Lidell m'a convaincue de voir (avec ses 12.583 notes sur la question).

Que les époux soient mieux séparés qu'ensemble, nous l'admettrons sans contredit (pas d'objections dans les commentaires pour le moment). Mais revenons un peu à la motivation de ce jugement qui pose tout de même un problème de principe, un dangereux précédent qui pourrait faire jurisprudence, ou pousser les jeunes filles modernes sur le billard avant le grand jour (ou après pour soigner des contusions cette fois, on se sait jamais).

Erreur sur les qualités essentielles de la conjointe

parce que l'épouse a menti sur sa virginité :

La rédaction de la motivation est un peu ambigüe : soit la qualité essentielle c'est l'absence de mensonge, soit c'est la virginité. Dans un cas comme dans l'autre, c'est très ennuyeux et il est dans l'intérêt de la loi que les jugements soient rédigés un peu moins étourdiment.

Supposons tout d'abord que l'absence de mensonge soit une qualité essentielle : un mariage sans mensonge ? Sérieusement ?

" -Chéri tu m'écoutes ?
- oui oui..."

Vous voyez bien que ça ne tient pas la route.

Il reste la virginité, mais sérieusement, comment cela pourrait-il être la virginité ? comment une qualité qui ne survit pas 24h après l'union des époux peut-il être une qualité essentielle pour un mariage qui est censé (c'est ce qu'on croit ce jour-là) durer toute une vie ? plus ennuyeux, en cas de non perte de cette qualité, le mariage pourrait être annulé pour non consommation/ refus du devoir conjugal. Pire encore, le seul intérêt du mariage résiderait dans ce plaisir unique de la défloration ?

Si on croit Assiah Djebbar (Femmes d'Alger), la Nikah ou défloration est censée être la plus rapide et plus douloureuse possible, un ami algérien m'a confirmé que la pratique était encore commune, en même temps il n'a pas discuté avec tous les garçons musulmans non plus. A prendre avec précaution, donc, ce qui nous permet de qualifier cette pratique d'isolée, de barbare et de pitoyable, et d'indiquer sans complexe qu'elle nous rappelle l'obsession d'un tueur en série récemment condamné à la prison à perpétuité pour les viols et meurtres d'un certain nombre de jeunes filles.

L'obsession de la virginité ne mène pas qu'à une paisible vie conjugale. Qu'il mène au divorce est un moindre mal, mais, à mon humble avis, faute de pouvoir exiger des preuves identiques des deux époux, il vaut mieux la décourager.