Bric à brac...
...au hasard de mes lectures actuelles.
J'ai cédé l'autre jour aux présentoirs de la fnac qui exhibent Gaston Kelman depuis des mois et j'ai commencé à lire Je suis noir et je n'aime pas le manioc, un essai assez savoureux frappé du coin du bon sens, plein d'anecdotes qui feraient froid dans le dos si l'auteur ne les racontait sur le ton de l'humour, ce en quoi il démontre sa supériorité, moi j'aurais cédé rapidement au scandale et à l'hystérie je pense. Et tout plein de références qui donnent envie de lire.
Et puis une capacité à réfléchir et à remettre en question ses certitudes, c'est si horriblement rare... Il déloge le racisme ordinaire au travers des positions pleines de bonnes intentions tolérantes, et on réalise qu'il faut décidément beaucoup de finesse et de questionnement pour échapper aux préjugés qui nous pétrissent. L'ouverture, un combat de tous les jours.
Lily les ogres de barback & pierre perret
Une chose qui m'étonne tout de même, c'est son hostilité aux mariages mixtes sous prétexte qu'ils ne seraient guidés que (1) par l'envie de se blanchir... on espère tout de même que le métissage repose un peu désormais (2) sur des histoires d'amour ou sur la soif d'altérité qui préside à toute union.
"Et l'enfant qui naîtra un jour,
Aura la couleur de l'amour
Contre laquelle on ne peut rien".
Dans un autre genre, l'ouvrage de Giuliano da Empoli, La peste et l'orgie, qui a un tout autre sujet (3) que le métissage, en parle aussi, dans sa démonstration de la brésilianisation du monde. Au Brésil, 80% de la population est métisse. Si l'on en croit l'auteur, en dépit des efforts du marquis de Pombal en 1775, qui établit que les conjoints de mariages mixtes ne devaient subir aucun préjudice et qu'au contraire les charges publiques leur étaient ouvertes de même qu'à leurs enfants et descendants, les élites brésiliennes ont longtemps eu honte de ce métissage. Jusqu'à ce que Gilberto Freyre écrive, (en 1933 !) les jolies choses qui suivent :
"Tout brésilien, même quand il est clair et qu'il a les cheveux blonds, porte dans l'âme [...] l'ombre ou la marque de l'indigène ou du nègre. [...] Dans notre manière d'être tendre, dans notre mimique excessive, dans notre catholicisme qui est un délice des sens, dans notre musique, dans notre manière de marcher, de parler, dans les cantiques qui ont bercé notre enfance, bref dans toutes les expressions sincères de notre vie, l'influence nègre est patente."
Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer Aimé Césaire, que j'aime lire à cause de sa férocité, et puis de son vocabulaire. J'aime ce passage parce que sa force persiste même quand on le sort allègrement de son contexte.
"Il n'est point vrai que l'oeuvre de l'homme est finie
Que nous n'ayons rien à faire au monde
Que nous parasitons le monde
Qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde
Mais l'oeuvre de l'homme vient seulement de commencer
Et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force
Et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête."
1) "Regardez les grands sportifs et les intellectuels noirs de France, les hommes politiques africains qui ont étudié en Europe, sans oublier le premier citoyen de la Terre, le secrétaire général de l'ONU. Ils appartiennent à cette race d'épouseurs de femmes blanches. Si c'est le hasard, il fait merveille". Je suis noir et je n'aime pas le manioc, p185. Un peu absolu, non ?
2) Il ne faut pas se mentir sur la part du viol dans certains métissages, et certains universitaires parlent même du "mythe du viol fondateur dans l'imaginaire antillais" (cf intervention de S Mulot).
3) Je vous cite le 4ème de couverture : "Alors, Américanisé le monde ? Brésilianisé, plutôt. Le Brésil, proverbiale terre de contrastes, est le miroir allégorique de notre culture, oscillant entre aspirations religieuses et violence, où la mort, le sexe, le faste et la misère se côtoient. Il est temps de rouvrir les yeux et de redécouvrir, dans sa toute puissance, l'esthétique joyeuse et morale de l'orgie - c'est à dire de la liberté."