L'empire de l'éphémère (3) : La mode contribue à forger l'individualité moderne

"Pour la première fois, le paraître ne repose plus sur un consensus social, , il choque les habitudes et les préjugés, il se voit violemment condamné par les gens d'Eglise, il est jugé ridicule, inconvenant, laid par les chroniqueurs. La dernière mode est sublime pour les élégants, scandaleuse pour les moralistes, ridicule pour l'honnête homme, la mode et la discordance des opinions iront désormais ensemble."

 

Vertugadin, poulaine et rhingrave, tour à tour objets d'engouement et de scandale

J'ajoute à titre de parenthèse que les vêtements de Jeanne d'Arc et notamment ses chausses furent évidemment objets de reproches, qui sont rapportés dans les minutes de son procès. Pleins de détails intéressants ici sur les chausses en général et celles de Jeanne en particulier.

"En agençant un ordre fait à la fois d'excès et d'écarts minimes, la mode a oeuvré au raffinement du goût et à l'aiguisement de la sensibilité esthétique, elle a civilisé l'oeil en l'éduquant à discriminer les petites différences."

"L'habillement, qui n'est plus reçu de génération en génération [...] fournit l'occasion  [...] d'apprécier plus individuellement les formes, d'affirmer un goût plus personnel."

"Avec la mode, [mais aussi avec la concurrence de la Cour] les êtres ne vont plus cesser de s'observer, d'apprécier leurs apparences récipropques, de jauger les nuances de coupe, couleurs, motifs de l'habillement. Appareil à générer du jugement esthétique et social, la mode a favorisé le regard critique des mondains".

* * *

PS 1 : j'écoute en ce moment une conférence sur le processus d'innovation (de l'extraordinaire Marc Giget du CNAM, écoutable ici) et il dit que l'innovation est plus un état d'esprit, une posture, et surtout une posture impertinente : "les premiers innovateurs ont péri en place de Grève". Un parallèle de plus entre mode et innovation ;-)

PS 2 : le commentaire de Bouschon sur les formes me fait penser à une autre chose mentionnée par G. Lipovetsky, à savoir la faveur qu'ont eu au XVème siècle les petits sacs qu'on portait sous la robe pour amplifier le ventre. J'ai longtemps cru en voyant ce tableau de Van Eyck (1434) que la jeune femme était enceinte, mais je découvre aujourd'hui le titre du tableau qui est "le mariage des époux Arnolfini". On en voit un autre exemple dans ma note d'hier.

Comments

[pandore]

Attends, je l'ai pas encore fait mon post-scriptum. Oui on a le droit de modifier les articles, je peux même supprimer des commentaires si ils sont méchants, ou qu'ils me contredisent, je peux tout faire : dans mon blog, je suis Dieu.

(je crois même que sur haut et fort, on peut modifier les commentaires des autres, en plus de pouvoir les supprimer, mais j'ai pas essayé)

[Bouschon]

c'est quoi un post-scriptum ? on a le droit de modifier les articles une fois publiés ??? faut que je m'habitue

[pandore]

Je crois que Lipovetsky fait allusion aux formes du vêtement, et pas à ce qui est en dessous :-), quoique je ne puisse pas répondre à sa place.

Cela dit, effectivement, avant cette forme moulante du vêtement (on a comparé l'homme à un lévrier, et dénoncé la "deshonnesteté" des nudités de gorge"), c'était un vêtement assez ample qui était porté par les deux sexes.

Même si ce n'est pas seulement ce caractère moulant qui a suscité la critique, puisque le vertugadin par exemple, n'est pas moulant. Ou la poulaine, critiquée à cause de la longueur cette pointe (qui était perçue comme une métaphore d'une autre longueur plus personnelle pour les hommes qui la portaient.)

Ton com sur les formes me rappelle quelque chose, je vais faire un post-scriptum...

[Bouschon]

J'aime bien le passage "apprécier plus individuellement les formes"... on comprend les réticences de l'église.
Ceci dit c'était à l'époque la seule forme de commentaire / jugement public, en l'absence de toute presse (à part de temps en temps un pamphlet publié a compte d'auteur, peut etre ...)

[pandore]

Il faut dire aussi, pour ce qui est du jugement critique, qu'il s'est aussi manifesté dans d'autres domaines, à peu près à la même époque : la Réforme date du début du 16ème...